Atelier “La résolution des conflits dans une perspective de genre”

Atelier “La résolution des conflits dans une perspective de genre”
Date : 16 juin 2025
Horaire : de 18h00 à 21h00
Lieu : Barreau de Barcelone (ICAB)
Activité intégrée dans le Diplôme de Postgrade en Résolution de Conflits ICAB-UB 2024-2025

Intervenantes :
• Cristina Ferrando, magistrate doyenne des tribunaux de Barcelone
• Jennifer Losada, avocate et médiatrice
• Olga Arderiu, présidente de la Commission des Femmes Avocates de l’ICAB


1. Cristina Ferrando : La médiation et le féminisme comme voies de démocratisation de la justice

Cristina Ferrando a présenté une intervention à caractère structurel et historique, en exposant les racines sociales et idéologiques de la médiation moderne, ainsi que son potentiel dans une perspective de genre.

La naissance de la médiation comme alternative féministe au système judiciaire traditionnel
Elle a souligné que la médiation, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne naît pas comme une technique neutre, mais comme une réponse politique et transformatrice aux limites du système judiciaire classique. Cette réponse, en particulier aux États-Unis, portait une forte empreinte féministe. Pendant la première moitié du XXe siècle — et notamment dans les années 1930 — plusieurs collectifs de femmes commencèrent à remettre en question l’inaccessibilité de la justice formelle, dominée par les hommes, onéreuse et structurellement androcentrique.

Ces premières revendications visaient à élargir l’accès des femmes à la justice dans des conditions d’égalité, que ce soit à travers le système judiciaire ou via des mécanismes alternatifs comme la conciliation et la médiation. Il s’agit d’un féminisme juridique naissant qui revendiquait un droit plus proche, dialogué et attentif aux relations personnelles et communautaires.

Cet élan s’est consolidé à partir des années 1970 avec l’apparition de courants tels que la Feminist Jurisprudence et les Critical Legal Studies dans des universités comme Harvard. Ces écoles ont dénoncé la manière dont le droit perpétuait des hiérarchies de genre, de classe et de race, et ont promu des méthodologies alternatives de résolution de conflits dans une logique plus horizontale.

Le rôle des associations de voisinage a également été mis en avant, notamment dans les milieux urbains défavorisés, où des espaces communautaires de résolution de conflits ont vu le jour. Ces mécanismes entre pairs, gérés localement et souvent dirigés par des femmes, annonçaient ce qui deviendrait plus tard les MARD (Modes alternatifs de résolution des différends).

Bien que ce mouvement soit né aux États-Unis, sa réception en Europe a été plus lente. Alors qu’en Amérique des systèmes extrajudiciaires participatifs se développaient, l’Europe a maintenu pendant des décennies un attachement à un pouvoir judiciaire centralisé. Ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle, surtout sous l’impulsion normative de l’Union européenne, que les MARD ont été progressivement intégrés aux systèmes judiciaires des États membres.

De l’alternative à la complémentarité : le modèle multi-porte
Au fur et à mesure que les MARD ont été reconnus institutionnellement, une transition s’est opérée d’un modèle d’alternative (opposition) à un modèle de complémentarité et d’adéquation (coopération). C’est ce qu’on appelle le modèle de justice multi-porte, où la médiation, la conciliation, l’arbitrage et d’autres formules coexistent avec la justice ordinaire.

L’évolution vers les ODR (Online Dispute Resolution) a également été abordée, soulignant les nouveaux défis qu’elles posent à l’égalité de genre dans l’espace numérique.

L’impact féministe : placer les personnes au cœur du conflit
Ferrando a affirmé que les voix féministes ont été essentielles pour repenser la structure du système juridique et des MARD eux-mêmes, en plaçant les personnes et les relations au centre. Cette approche contraste avec le modèle traditionnel, hiérarchique et masculinisé, orienté vers l’imposition et la sanction.

Elle a cité Carol Gilligan, psychologue américaine, qui a introduit le concept de féminisme émotionnel. Gilligan défend la médiation comme un mode de résolution basé sur le dialogue, l’empathie et les relations interpersonnelles, à l’opposé du modèle accusatoire. Ainsi, la médiation est perçue comme un processus qui humanise les conflits et promeut une culture non conflictuelle, propre à une pensée féminine non essentialiste mais relationnelle.

Elle a également évoqué des critiques historiques des MARD, comme le risque de privatisation du droit, la marchandisation de l’arbitrage ou l’avantage injuste que peuvent avoir les parties disposant d’un plus grand pouvoir économique ou symbolique.

Pour conclure, Ferrando a rappelé que la perspective de genre constitue aujourd’hui une obligation légale en Espagne, reposant sur :
• La loi organique 3/2007 pour l’égalité effective entre femmes et hommes (notamment l’article 4)
• La Convention d’Istanbul (ratifiée par l’Espagne en 2014)
• Les directives et recommandations de l’Union européenne
• La loi catalane 17/2015 sur l’égalité effective entre femmes et hommes


2. Jennifer Losada : La médiation avec une perspective de genre dans la pratique professionnelle

L’avocate et médiatrice Jennifer Losada a centré son intervention sur les défis concrets de la médiation en cas de déséquilibres de pouvoir, notamment liés au genre et aux situations de violence ou de vulnérabilité structurelle. Elle a défendu l’idée que la perspective de genre ne doit pas être un complément, mais un outil indispensable pour garantir l’équité et la sécurité dans le processus de médiation.

Femmes et vulnérabilités structurelles
Losada a rappelé que de nombreuses femmes subissent des pertes d’opportunités sociales, économiques et professionnelles, en raison de leur rôle traditionnel dans les soins et les tâches domestiques. Cette réalité impacte directement leur capacité de négociation dans un processus de médiation. Une médiation sans perspective de genre peut contribuer à reproduire les inégalités qui sont à l’origine du conflit.

Ainsi, elle a insisté sur le fait qu’un accord ne peut être considéré comme satisfaisant s’il consolide ou légitime ces inégalités, et que le rôle de la médiatrice ou du médiateur est de détecter, compenser et corriger ces déséquilibres.

Détecter les déséquilibres et les signes de violence de genre
L’un des points centraux de son intervention fut la détection de signes de violence de genre, souvent implicites et difficiles à identifier. Pour cette raison, Losada a souligné l’importance de réaliser des entretiens individuels préalables avec chaque partie, afin d’identifier des signes de contrôle, de manipulation ou de domination.

Elle a partagé une liste de signaux d’alerte utiles pour les médiateurs :
• Femmes qui parlent peu, évitent le contact visuel, semblent nerveuses ou ne formulent aucune proposition.
• Comportement dominateur de l’autre partie, qui monopolise la parole, interrompt, critique ou corrige sans cesse.
• Changements d’opinion ou de version entre l’entretien individuel et la séance conjointe, indiquant une possible pression ou peur.
• Évaluation des conditions socio-économiques : revenu, charges familiales, âge, culture, langue, état émotionnel, rapports des services sociaux, antécédents judiciaires ou plaintes déposées.

Quand interrompre la médiation
Losada a été très claire : la médiation doit être immédiatement interrompue en cas de signes de violence physique, psychologique ou par procuration, si la liberté ou la sécurité de l’une des parties est menacée, ou si une pression manifeste empêche une participation équitable.

De même, la médiation ne peut continuer si l’une des parties décide d’y mettre fin ou si la médiatrice/le médiateur estime que le déséquilibre structurel est irréversible.

Outils et ressources pour la pratique
Elle a présenté un questionnaire de détection de violence de genre conçu spécialement pour les médiateurs, applicable aux deux parties du conflit. Cet outil aide à identifier les risques avant ou pendant le processus et constitue un mécanisme de prévention essentiel.

https://mediadorconflictos.com/wp-content/uploads/2025/06/JENNIFER-LOSADA-CUESTIONARIO-16.6.2025-PDF-1.pdf

Une question clé à poser, selon elle, est :
“Qu’attendez-vous de la médiation ?”
Cette question permet de repérer si la personne vient pour imposer, résister, se protéger ou collaborer, ce qui aide à adapter le processus en toute sécurité.


3. Olga Arderiu : Égalité de genre et transformation institutionnelle dans la profession juridique et la médiation

L’intervention d’Olga Arderiu a proposé une vision institutionnelle et stratégique sur l’intégration de la perspective de genre dans la médiation et l’exercice de la profession juridique. En tant que présidente de la Commission des Femmes Avocates de l’ICAB, Arderiu est engagée dans divers projets de formation, de sensibilisation et de transformation organisationnelle dans le secteur juridique.

Publications et ressources disponibles
Elle a mis en avant deux publications récentes :

  1. Guide “Perspectiva de gènere i mediació”, écrit par Mon Tur, présidente de l’Association catalane de droit collaboratif. Ce guide fournit des outils pour intégrer la perspective de genre dans la formation et la pratique de la médiation, en invitant les professionnel·les à interroger leurs croyances et valeurs culturelles.

  2. Livre “Mediació i gènere”, ouvrage collectif coordonné par Mon Tur, avec des contributions de Patsilí Toledo, Patricia González, Glòria Casas, Elena Garrido, Oriol Ginés et Javier Wilhelm. Il vise à améliorer la formation des médiateurs en intégrant les critères d’équité et de conscience de genre.

Ces deux ressources ont été publiées avec le soutien du Centre d’études juridiques et de formation spécialisée et de l’Observatoire catalan de la justice en matière de violence sexiste, et sont disponibles en téléchargement gratuit sur le Répertoire du Département de Justice et de Qualité Démocratique.

Propositions pour transformer la profession juridique dans une perspective féministe
Arderiu a partagé des propositions concrètes pour promouvoir l’égalité dans la profession :
• Reconnaître la maternité comme une responsabilité collective, avec des conditions dignes pour les avocates mères.
• Promouvoir une véritable méritocratie, avec des critères de recrutement et de promotion transparents.
• Encourager le travail collaboratif, réduire les journées présentielles, garantir un accès égal à la formation continue.
• Tolérance zéro face au harcèlement, avec des canaux de plainte sûrs et des protocoles efficaces.
• Supprimer les écarts de salaires et adopter des indicateurs de performance axés sur la qualité, l’éthique et l’engagement.
• Intégrer la formation au genre à l’université, créer des alliances intersectorielles et diffuser des modèles féminins pour combattre le syndrome de l’imposteur.

Elle a aussi insisté sur l’importance d’une implication collective dans les ordres professionnels : participer, créer des réseaux, promouvoir des espaces paritaires et soutenir les cabinets inclusifs.

Enfin, elle a alerté sur la persistance des stéréotypes dans les médias et la justice pénale, en citant le Rapport GREVIO sur l’Espagne (2024), qui dénonce des pratiques telles que :
• Des interprétations judiciaires influencées par des mythes autour du consentement.
• Un traitement médiatique sensationnaliste culpabilisant les victimes.
• Une publicité sexiste renforçant des rôles de genre obsolètes.

Elle a ainsi appelé à éliminer les stéréotypes de genre dans tous les domaines du droit et de la résolution de conflits.

Canal de signalement du CICAC pour les cas de discrimination dans l’exercice professionnel :
👉 denunciadiscriminacio@cicac.cat

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