
04 Juin La condition de recevabilité en matière de logement
La condition de recevabilité en matière de logement : clés juridiques et réflexions à partir des arrêts du Tribunal constitutionnel 25/2025 et 26/2025
Le 3 juin 2025, j’ai eu l’opportunité d’assister à la conférence organisée par le Centre ADR de l’ICAB, intitulée « La condition de recevabilité en matière de logement : analyse et effets des arrêts du Tribunal constitutionnel n° 26/2025 et 25/2025 ».
Les interventions d’Isabel Viola Demestre, Vicente Pérez Daudí et Eugeni Martínez Caparrós ont été particulièrement éclairantes et ont apporté une analyse critique et solidement argumentée sur une question qui suscite de vifs débats juridiques et sociaux.
Un problème structurel
L’Espagne souffre depuis des décennies d’un grave déficit structurel de logements sociaux. La crise financière de 2008, loin d’avoir été un tournant, n’a pas été utilisée pour mettre le parc de logements vacants au service de la fonction sociale de la propriété, consacrée à l’article 33.2 de la Constitution espagnole.
Le logement, reconnu comme un droit à l’article 47 de la Constitution, reste dans la pratique soumis à une logique de marché sans mécanismes correcteurs suffisants.
Droits fondamentaux en conflit
Ce contexte affecte directement l’équilibre entre deux droits fondamentaux :
- Le droit à une protection juridictionnelle effective (article 24 de la Constitution) pour les demandeurs (en général les grands propriétaires recourant aux tribunaux),
- Le droit au logement et à une vie digne (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) pour les occupants.
L’article 6 de la CEDH protège également le droit à un procès équitable. À l’échelle internationale, le Comité DESC des Nations Unies a souligné à plusieurs reprises que l’Espagne ne respecte pas l’article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, faute de garantir un accès effectif à un logement convenable.
Les arrêts du Tribunal constitutionnel 25/2025 et 26/2025
Ces deux décisions examinent la constitutionnalité de l’article 6.7 de la Loi 12/2023 sur le droit au logement, qui imposait certaines conditions de recevabilité dans les procédures judiciaires concernant le logement principal.
Inconstitutionnalité partielle
Le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’alinéa c) de l’article 6.7, qui obligeait les grands propriétaires à proposer un contrat de location à loyer modéré avant d’intenter une action en justice.
Bien que les alinéas a) et b) n’aient pas été annulés, ils sont devenus inopérants en pratique.
Conclusion essentielle du Tribunal
La condition de recevabilité n’est pas inconstitutionnelle en soi, mais la manière dont elle est imposée et la charge de la preuve transférée au demandeur portent atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective (article 24 de la Constitution).
La notion de grand propriétaire : source d’insécurité juridique
L’une des questions les plus controversées est celle de la définition de « grand propriétaire » :
- En droit espagnol : l’article 3.k de la Loi 12/2023 définit comme grand propriétaire toute personne physique ou morale détenant plus de 10 biens immobiliers urbains ou plus de 1 500 m² de surface construite.
- En droit catalan : l’article 5 de la Loi 24/2015, modifié par le Décret-loi 17/2019, repose sur un autre critère. Ce décalage provoque des conflits d’interprétation, d’autant que l’article 3.k ne s’applique pas en Catalogne, comme l’a confirmé la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.
Cette divergence, combinée à une technique législative insuffisante, engendre une insécurité juridique et multiplie les contentieux inutiles.
Que signifie “résidence principale” ? Et “situation de vulnérabilité” ?
Les notions de résidence principale et de vulnérabilité sont déterminantes pour appliquer les mesures de protection ou évaluer la recevabilité procédurale.
Cependant :
- L’inscription au registre de la population ne signifie pas toujours que la personne réside effectivement dans le logement.
- La vulnérabilité n’est pas toujours clairement définie ni documentée.
- Les grands propriétaires n’ont pas accès aux données sociales, mais doivent néanmoins apporter la preuve d’une situation qu’ils ne peuvent vérifier, ce qui remet en cause l’efficacité de la mesure.
Le rôle des MARD et de la médiation
La condition de recevabilité serait mieux appliquée s’il existait un mode alternatif de résolution des différends (MARD) spécifique en matière de logement, adapté aux réalités sociales et juridiques de chaque situation.
Délais actuels (selon la Loi 1/2025 sur les MARD) :
- 1 mois pour engager la procédure,
- 3 mois pour conclure la médiation (prolongeable par accord),
- Total : 4 mois, ce qui ne constitue pas un délai excessif.
Le choix du MARD le plus adapté (médiation, conciliation, négociation…) devrait faire partie d’une politique publique globale d’accès à la justice.
Obligations des avocats et rôle d’Ofideute
Le Code déontologique de l’avocat espagnol oblige les avocats à :
- Informer leurs clients de la possibilité de recourir à un MARD,
- Tenter une négociation préalable à toute procédure judiciaire (article 21).
En Catalogne, le service Ofideute (géré par l’Agence du logement de la Catalogne) agit comme intermédiaire dans les cas d’impayés de loyer ou d’hypothèque, en accompagnant, orientant et favorisant les accords extrajudiciaires.
Réflexion finale
Les arrêts 25/2025 et 26/2025 précisent les limites du pouvoir législatif en matière d’exigences procédurales préalables à l’action en justice.
La location sociale n’est pas inconstitutionnelle, mais l’imposer comme condition procédurale l’est, lorsqu’elle est appliquée sans garanties ni proportionnalité.
Ces décisions ouvrent la voie à un dialogue constructif entre administrations, juristes et acteurs des MARD, afin de définir des mécanismes préalables efficaces, adaptés et respectueux des droits fondamentaux dans les conflits liés au logement.
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